*Déclaration de Nestlé
Entretien avec Alexander Roose, Responsable actions, gérant senior et Gian-Luca Grassini, Analyste financier et ESG
- Découvrez comment la nutrition et les soins de santé convergent
- Plongez dans le monde des compléments alimentaires, des aliments fonctionnels et des acteurs clés de leur développement
- Apprenez comment les avancées en matière de compléments alimentaires ciblent les différents groupes démographiques
- Comprenez l’importance du microbiome
- Evaluez l’ampleur des opportunités – mais aussi des risques – que présente l’investissement dans cet environnement fascinant
Nous avons inauguré cette année notre nouvelle série sur le bien-être, dans laquelle nous braquons les projecteurs sur les tendances les plus captivantes en matière de santé, en vous donnant un aperçu des évolutions les plus récentes et les plus intrigantes dans le domaine du bien-être.
Saviez-vous que plus de 90 % de la sérotonine (du corps) – l’hormone du bonheur – était produite dans l’intestin ?
Ce n’est là qu’un des nombreux liens entre la nutrition et les soins de santé, un domaine en pleine expansion pour les scientifiques, les dirigeants d’entreprise et les investisseurs. Cette deuxième édition de notre série sur le bien-être s’intéresse à l’énorme opportunité que représente cette convergence de l’alimentation et de la santé, mais aussi à ses complexités et à ses pièges.
Alexander et Gian-Luca, pourriez-vous commencer par définir ce qu’est les « nutraceutiques » ? Quels sont les produits qui relèvent de cette catégorie et quelles sont les principales entreprises concernées, qu’elles soient du secteur de l’alimentation ou de celui de la santé ?
Le terme « nutraceutique » est une contraction des mots « nutrition » et « pharmaceutique ». Il désigne les produits, issus de denrées alimentaires, dont on pense qu’ils offrent des avantages pour la santé au-delà des nutriments fondamentaux apportés par l’alimentation. Ils sont considérés comme des traitements biologiques généralistes qui, de manière générale, améliorent l’état de santé, traitent les symptômes et préviennent certaines pathologies. Ces avantages peuvent cibler des troubles métaboliques spécifiques ou être de nature plus générale, contribuant à améliorer la santé dans son ensemble et à retarder le processus de vieillissement.
Compte tenu de la définition très large des produits nutraceutiques, il existe un large éventail de canaux de distribution, allant des hôpitaux aux commerces de détail classiques, en passant par les salles de sport. On distingue deux grands groupes de produits nutraceutiques :
- Les compléments alimentaires : vitamines, minéraux et enzymes
- Les aliments fonctionnels : notamment les prébiotiques, les probiotiques, les aliments médicaux, les aliments enrichis (c’est-à-dire les produits alimentaires dont les ingrédients nocifs – tels que le sucre ou l’excès de sel – ont été retirés et auxquels d’autres nutriments – bénéfiques – ont été ajoutés)
Les compléments alimentaires et les vitamines sont généralement proposés par des entreprises exclusivement « nutraceutiques », tandis que les aliments fonctionnels sont généralement produits par des entreprises du secteur alimentaire grand public qui débordent dans le médical, ou par des entreprises pharmaceutiques faisant une incursion dans le marché de l’alimentation.
Bien souvent, une grande partie de l’innovation associée à ces aliments fonctionnels (qu’il s’agisse de reformulations ou de produits entièrement nouveaux) est confiée à des spécialistes (scientifiques) B2B du secteur des ingrédients.
En tant qu’investisseur, et au regard de l’approche de DECALIA des chaînes de valeur, quels sont les principaux aspects à prendre en compte ?
Aux États-Unis, si la FDA ne contrôle pas la sécurité ou l’efficacité des compléments alimentaires avant leur mise sur le marché, elle surveille activement les produits mal étiquetés ou dangereux après leur lancement.
Aperçu du marché des nutraceutiques : une fusion entre soins de santé et nutrition
Source : DECALIA, PwC
Cette approche réglementaire réduit les barrières à l’entrée pour les entreprises, mais elle amplifie considérablement le risque réglementaire et le risque de réputation dans l’espace B2C.
Compte tenu de ce risque accru dans l’espace B2C, nous considérons que les entreprises les plus intéressantes, que nous appelons les « facilitateurs », sont celles qui interviennent dans le segment B2B.
Ces entreprises concentrent, en effet, une grande partie de la science et de l’innovation inhérentes à ce marché et ont érigé des barrières à l’entrée plus élevées (principalement par le biais de la propriété intellectuelle en matière de micro-organismes).
Quand on parle de science, il faut ajouter que le microbiome est au cœur de la plupart des travaux de recherche et du développement en matière de nutraceutiques. Le lien très étroit entre la santé intestinale et la santé cérébrale est désormais bien établi, le système nerveux entérique (c’est-à-dire les nerfs de l’intestin) étant souvent qualifié de deuxième cerveau. La démarche consistant à utiliser de bonnes bactéries qui renforcent le microbiome plutôt que des antibiotiques qui détruisent les bactéries est comparable à l’évolution du secteur agricole, qui privilégie de plus en plus les nutriments du sol par rapport aux pesticides.
Depuis quand l’influence de la nutrition sur la santé humaine est-elle reconnue, tant par la communauté scientifique que par le grand public ?
Selon nous, la publication en 2007 de «l’étude Southampton» dans The Lancet, l’une des revues médicales les plus anciennes et les plus reconnues, a été un catalyseur important. Cet article scientifique établit un lien entre l’hyperactivité chez les jeunes enfants et la consommation de certains colorants alimentaires artificiels (et du benzoate de sodium, un agent de conservation).
Il s’en est suivi de profonds changements dans les processus de l’industrie alimentaire, qui a laissé de côté les colorants synthétiques au profit des colorants naturels.
À l’heure actuelle, le secteur des nutraceutiques est déjà important et se développe de jour en jour. Pourriez-vous préciser les évolutions que vous considérez comme les plus intéressantes, par tranche d’âge des clients ciblés ?
L’âge est souvent corrélé à la prédominance de certaines maladies. Avec l’âge, les individus peuvent devenir plus sensibles à certaines affections chroniques telles que les maladies cardiaques, le diabète ou l’arthrite.
À l’inverse, les plus jeunes peuvent être confrontés à des risques plus élevés de maladies infectieuses en raison du manque de développement de leur système immunitaire. Il est essentiel de reconnaître ces schémas de santé liés à l’âge afin de fournir des soins et des interventions médicales appropriés.
De plus, le microbiome humain évolue au cours de la vie, à l’instar de la diversité bactérienne intestinale qui diminue avec l’âge.
Petite enfance
Après les lipides et les glucides, les OLH (oligosaccharides du lait humain) constituent le troisième ingrédient le plus abondant dans le lait maternel. La recherche scientifique a montré que l’immunité plus forte des enfants nourris au sein est en partie attribuable à ces OLH. Ces derniers ont en effet un impact positif sur la flore intestinale du bébé, où se trouve une partie importante du système immunitaire : ils nourrissent l’intestin avec de bonnes bactéries et aident à détruire les mauvaises.
Conscientes de ces avantages, plusieurs entreprises se sont efforcées de produire des OLH de synthèse, en particulier le 2’-FL (l’oligosaccharide le plus abondant dans le lait maternel), en recourant à des procédés de fermentation. L’objectif, dans un premier temps, est de les incorporer au lait maternisé, puis à plus long terme, d’étendre le marché au-delà du segment des nourrissons.
Novozymes : des solutions biosourcées innovantes pour la santé
Source : Présentation de Novozymes
Deux des pionniers de ce domaine ont d’ailleurs déjà été rachetés (Glycom par DSM-Firmenich et Jennewein par Chr. Hansen), ce qui illustre l’avenir prometteur des OLH, et ce au-delà du domaine ciblé de l’alimentation infantile.
Adolescence
Nous mentionnions plus haut «l’étude de Southampton» de 2007 qui établissait un lien entre les colorants alimentaires artificiels et l’hyperactivité. La société Bachem propose des produits tels que le Ferrochel et le VitaCholine, qui favorisent le développement neurologique de l’enfant. Les experts de l’entreprise soulignent le rôle essentiel de la nutrition maternelle, en particulier pendant la grossesse, dans le développement des fonctions cognitives des enfants. Un rôle qui se prolonge au-delà de leur septième anniversaire.
De plus, les probiotiques de Biogaia, qui sont recommandés par les pédiatres, permettent de maintenir l’équilibre naturel de l’intestin de l’enfant.
Âge adulte
En ce qui concerne les adultes, plusieurs domaines de développement semblent prometteurs. Le premier concerne les effets négatifs, désormais largement reconnus, des aliments ultra-transformés. L’offre de produits « clean label », c’est-à-dire composés d’un nombre réduit d’ingrédients naturels et exempts d’organismes génétiquement modifiés, de conservateurs artificiels ou de traces d’antibiotiques, aura certainement des effets bénéfiques sur la santé en général, ne serait-ce que dans la lutte contre le fléau de l’obésité.
Les lecteurs de la première édition de cette série sur le bien-être se souviendront qu’il a été démontré que la consommation d’aliments transformés et prêts à l’emploi contribuait à la prise de poids, et ce, même à apport calorique égal.
On peut ensuite citer l’opportunité des oméga 3, dont les vertus en matière de santé cardiaque et de longévité ont été abondamment documentées. Ce qui nous intéresse plus particulièrement, c’est la manière dont les produits riches en oméga 3 peuvent être obtenus, de manière plus durable, à partir d’huile d’algues. En effet, en s’appuyant sur un processus vieux comme le monde, la fermentation, la société Corbion a montré que l’huile d’algue offrait une alternative d’origine locale à l’huile de poisson, dont la production menace la biodiversité sous-marine et présente une empreinte carbone importante. L’huile d’algue serait également plus saine que l’huile de poisson, dans la mesure où elle ne contient pas de résidus de PCB (polychlorobiphényles). Et, au-delà d’une kyrielle de micro-organismes et d’un solide savoir-faire technologique, qui sont deux barrières claires à l’entrée, la production d’huile d’algues ne nécessite qu’une forme de matière première sucrée (canne à sucre, betterave, etc., selon la région).
Il faut, enfin, mentionner les antioxydants, dont les bienfaits pour l’organisme sont considérés comme nombreux, même s’ils n’ont pas toujours été pleinement prouvés.
Stress, système immunitaire, maladies oculaires, fonctions cérébrales, santé mentale… et la liste ne s’arrête pas là. Les consommateurs sont manifestement convaincus et tiennent à ingérer leur dose quotidienne de compléments alimentaires antioxydants.
Personnes âgées
Nous en arrivons enfin à la tranche d’âge des seniors, pour qui les compléments alimentaires à base de lactosérum (le lactosérum étant un sous-produit de la fabrication du fromage, le « petit lait » qui reste après le caillage du lait) sont désormais vantés comme un outil de lutte contre l’ostéoporose. Le lactosérum est l’ingrédient principal de la plupart des poudres protéinées et a donc depuis longtemps séduit les communautés de fitness et de bodybuilding, qui y voient un moyen d’augmenter leur masse musculaire.
Les personnes âgées sont en outre plus susceptibles de subir des interventions chirurgicales et des hospitalisations. Dans ces situations, la nutrition peut jouer un rôle essentiel, notamment dans le rétablissement postopératoire, en réduisant le risque de complications et en raccourcissant la période de convalescence.
Face à l’évolution des problèmes de santé liés aux modes de vie modernes, certaines entreprises comme Novozymes OneHealth recherchent des solutions biologiques pour la santé gastro-intestinale, immunitaire et cognitive, en utilisant des technologies de pointe combinées au retour d’expérience des consommateurs pour répondre à ces besoins. Les principaux acteurs dans le domaine des compléments alimentaires pour la santé des seniors sont Abbott Laboratories et Nestlé, avec leurs produits respectifs, Ensure Surgery et Nestlé Impact Advanced Recovery.
Les promesses ne se réalisent cependant pas toutes, comme l’illustre la récente décision de Nestlé de céder sa branche « allergies à l’arachide ». Un mot sur les risques liés à l’investissement dans les produits nutraceutiques ?
Palforzia (la première pilule contre l’allergie à l’arachide à être approuvée par la FDA) n’a pas répondu aux grands espoirs qu’il avait suscités, ce qui a conduit la direction de Nestlé à comptabiliser une perte de valeur de 2,2 milliards d’USD au début de 2023, puis, il y a quelques semaines, à annoncer la cession de l’unité à Stallergenes. Cela ne remet toutefois pas en cause la stratégie de Nestlé en matière de convergence alimentation/santé, d’autant plus que le directeur général de Nestlé dispose d’une expérience dans le secteur de la santé.
Autre exemple d’engouement qui s’est essoufflé : la viande végétale… qui n’est en réalité pas très saine en raison de son format ultra-transformé, de sa teneur élevée en sodium et en huile malsaine, etc.
Cela s’améliorera sans doute à l’avenir, notamment grâce aux innovations apportées par les « facilitateurs », pour qui le secteur de l’alimentation végétale représente également une opportunité de taille.
Selon Novozymes, la troisième cause du refus de consommer des produits laitiers d’origine végétale est la conviction que les produits laitiers traditionnels ont une valeur nutritionnelle supérieure. La société danoise aide les entreprises à réussir dans le secteur des aliments d’origine végétale en leur proposant des biosolutions enzymatiques. Contrairement aux ingrédients classiques, ces biosolutions transforment les matières premières en révélant les saveurs, les textures et les avantages nutritionnels qui leur sont inhérents.
Vous indiquez très clairement que le microbiome et les solutions bactériennes pour en améliorer l’état constituent un véritable Graal. Quels sont les projets pionniers actuels à suivre de près ?
En 2019, la société suisse Lonza, l’un des principaux sous-traitants pharmaceutiques (ou CDMO pour Contract Development and Manufacturing Organisation), s’est associée à la société danoise Chr. Hansen, spécialisée dans les biosciences et réputée pour son savoir-faire en matière de fermentation et pour sa bibliothèque sans égal de bactéries. La coentreprise ainsi formée, baptisée Bacthera, a pour objectif de mettre au point un traitement à base de microbiome pour traiter les infections à Clostridium difficile récurrentes. Cette initiative, qui s’inscrit certes dans un horizon à long terme, pourrait déboucher sur le premier produit biothérapeutique vivant commercialisé au grand public.
Il s’agit certainement d’un projet à suivre au cours des prochaines années, à condition que le récent rachat de Chr. Hansen par Novozymes (un important fournisseur de nutraceutiques et peut-être même l’acteur le plus avancé dans le domaine de la santé intestinale), pour un montant de 12,3 milliards de dollars, ne mette pas en péril la coentreprise.
Et pour terminer sur une note encore plus futuriste, que penser de cette réflexion selon laquelle la convergence de la santé et de la nutrition, qui a donné naissance au marché des produits nutraceutiques, pourrait à terme évoluer vers la nutrition personnalisée à l’instar de la médecine personnalisée, qui commence tout juste à trouver son marché…
Valeur boursière des « facilitateurs » (Capitalisation boursière en milliards d’euros)
Alexander Roose, Responsable de l’équipe Actions
Gian-Luca Grassini, Analyste financier et ESG
À propos de la stratégie de DECALIA
- un fonds multi-thèmes d’actions internationales, qui investit dans des secteurs innovants et des entreprises disruptives qui façonneront l’avenir de notre société
- investissement dans les 7 thèmes [Security (sécurité), O2 & Ecology (O2 et écologie), Cloud & Digitalisation (cloud et numérique), Industrial 5.0 (industrie 5.0), Elder & Well being (seniors et bien-être), Tech Med (technologies médicales, Young Generation (jeune génération)] regroupés sous l’acronyme SOCIETY.
- gestion assurée par une équipe expérimentée : Alexander Roose (ex-Directeur des investissements de l’équipe Fundamental Equity de Degroof Petercam AM) et Quirien Lemey (ancien gérant principal d’un fonds multi-thèmes chez Degroof Petercam AM).
À propos de DECALIA SA
Fondée en 2014, DECALIA est une société suisse de gestion d’actifs. Avec plus de 70 employés et des actifs sous gestion qui s’élèvent à 4,9 milliards d’euros, DECALIA s’est développée rapidement, notamment grâce à l’expérience de gestion active acquise au cours des 30 dernières années par ses fondateurs. Les stratégies développées par DECALIA s’articulent autour de quatre axes d’investissement porteurs dans une perspective à long terme : la désintermédiation du secteur bancaire, la quête de rendement, les tendances de long terme et les inefficiences de marché. DECALIA est réglementée par la FINMA et dispose d’une licence de gestionnaire de fortune collective. Outre son siège de Genève, le groupe dispose de bureaux à Zurich, Milan et de distributeurs de la Sicav DECALIA en Espagne et en Allemagne.