Perspectives 2023: après la Grande Réinitialisation
Les réflexions d’Alexander Roose, Responsable des fonds actions et co-lead PM de la stratégie DECALIA axée sur les secteurs innovants et les entreprises disruptives.
Si les marchés actions avaient débuté 2022 avec une énorme correction qui avait jeté les bases d’un millésime fortement négatif, 2023 présente des signes encourageants de retournement de tendance. À l’heure où nous écrivons ces lignes, tous les principaux indices sont résolument dans le vert, propulsés à la hausse par deux volte-face majeures – en plus de la baisse des chiffres de l’inflation globale les derniers mois. Tout d’abord, l’Europe se ressaisit, aidée en cela par la baisse des prix du gaz et (donc) par une consommation plus résiliente. Il y a encore peu, à la fin de l’été 2022, le moral était au plus bas, avec des pronostics de récession imminente et inévitable et des doutes importants quant à la capacité de l’Europe à passer l’hiver sans coupures d’électricité.
L’autre volte-face, encore plus remarquable, a eu lieu en Chine, peu de temps après que le pays a été classé «non investissable» au lendemain du 20e congrès du parti communiste en octobre. Malgré des prévisions plus radicalement négatives, les similitudes avec l’Europe étaient frappantes. Ainsi, c’est avec une brutalité rarement observée que la communauté des investisseurs fut prise à contre-pied quand le gouvernement chinois abandonna officieusement sa politique de «zéro COVID» peu après le Congrès, déclenchant un rebond spectaculaire des actions chinoises, qui s’est poursuivi au début de l’année (nous en dirons plus à ce sujet plus bas).
On pourrait se demander à quoi bon mentionner ces deux événements puisqu’ils se sont déroulés sous nos yeux et ont vraisemblablement été pris en compte par les marchés d’actions. La réponse est double:
Les phénomènes macroéconomiques sont par nature erratiques, de sorte que leur prévision est susceptible d’être erronée. Par conséquent, les considérations top-down dans le cadre d’une stratégie de gestion d’actions ne doivent certainement pas reposer uniquement sur des considérations macroéconomiques, bien au contraire. Nous pensons qu’un processus de gestion (multi) thématique bien établi est essentiel et permet de capitaliser sur les grandes tendances séculaires.
Les marchés ont la drôle de manie de ne pas faire ce que le consensus attend d’eux. Il est rare de voir un consensus aussi large que celui constaté en fin 2022 parmi les stratégistes sell-side. Personne ne doutait de la survenue d’une récession en 2023, et ce, même aux États-Unis. La seule incertitude concernait son timing.
Les estimations de bénéfices allaient donc devoir être revues à la baisse de manière significative. Ce consensus s’est nettement émoussé face au large éventail des scénarios macroéconomiques et géopolitiques pour 2023, qu’ils soient négatifs ou positifs. Sans prétendre être des experts en macroéconomie, la réouverture de l’économie chinoise est, selon nous, le plus grand facteur imprévisible pour 2023, surtout si l’on considère le potentiel considérable des surplus d’épargne accumulés pendant les deux années de confinement (voir le graphique ci-après).
Comme l’illustre le graphique, l’épargne globale a presque doublé et s’élève désormais à près de 2000 milliards de dollars. Il ne faut pas comparer les consommateurs chinois à leurs homologues américains en termes d’aversion au risque (surtout au sortir de deux années traumatisantes de confinement). En revanche, le retour à la moyenne à long terme de cette épargne accumulée devrait constituer un soutien important pour l’économie chinoise et mondiale, même s’il pourrait également semer les germes d’une poussée inflationniste plus tard dans l’année, ce qui anéantirait les espoirs de la communauté des investisseurs de voir les banques centrales tempérer leur discours actuellement très restrictif. Par conséquent, même si nous n’anticipons pas un ciel sans nuage pour les marchés d’actions en 2023, il y a au moins des lueurs d’espoir à mesure que le risque d’une (grave) récession s’éloigne.
Le lecteur avisé pourrait également s’interroger quant à notre choix de titre: celui-ci fait référence à l’effondrement de l’écart entre les actions dites value et les actions growth, c’est-à-dire à la «Grande Réinitialisation», qui n’a été observée qu’à trois reprises au cours des cinq dernières décennies (voir le graphique ci-après):
Global MSCI value vs MSCI growth (performances relatives annuelles)
Alexander Roose a passé 15 ans chez Degroof Petercam Asset Management (DPAM), où il était CIO Fundamental Equity et supervisait plus de 10 milliards d’euros d’actifs sous gestion. En même temps, il était activement impliqué dans la gestion quotidienne de cinq fonds totalisant plus de 6 milliards d’euros. Alexander est titulaire d’une maîtrise en économie appliquée de l’université HUB de Bruxelles.