Dans un contexte de normalisation monétaire, d’inflation persistante et de volatilité accrue, le pilotage actif des portefeuilles obligataires redevient essentiel.
Plongez dans l’analyse de Fabrizio Quirighetti, CIO et responsable du Multi-Asset de DECALIA pour mieux comprendre les défis — et les opportunités — de ce nouveau régime obligataire.
Pendant près de quatre décennies, la gestion obligataire suivait un schéma quasi automatique: être long duration suffisait, car les taux d’intérêt ne cessaient de baisser, portés par le recul de l’inflation et l’intervention massive des banques centrales. Le rendement du Trésor à 10 ans est ainsi passé de 16% en 1980 à 0,5% en 2020, une tendance qui a fait les beaux jours des investisseurs passifs et des ETF obligataires.
Evolution des taux à 10 ans depuis 1980
Source: Facset
Mais les crises successives ont rebattu les cartes: Covid-19, explosion des déficits publics, guerre en Ukraine, retour de l’inflation… Autant d’éléments qui ont contraint les banques centrales à remonter drastiquement leurs taux directeurs. La correction obligataire de 2022 a été historique, effaçant en quelques mois les gains accumulés sur plusieurs années.
Performance de divers indices nationaux d’obligations «investissables» depuis septembre 2021
Source: Facset
Avec la correction passée, les obligations redeviennent un terrain fertile pour les investisseurs: les rendements obligataires mondiaux sont redevenus attractifs, notamment sur le segment investment grade. En revanche, en Suisse, le marché obligataire est vite redevenu peu rémunérateur, avec une BNS plus accommodante et un environnement de faible inflation. Comparé aux rendements du marché immobilier ou aux dividendes des grandes entreprises suisses, les taux suisses peinent à convaincre.
Faut-il se tourner vers le marché obligataire international? La réponse est clairement oui, mais pas sans une approche réfléchie et structurée. Face à un environnement plus complexe, il devient impératif d’adopter une gestion active et de capitaliser sur plusieurs leviers stratégiques.
Quels sont les leviers d’une gestion institutionnelle obligataire active?
La diversification géographique
Les dynamiques économiques et monétaires varient en effet d’un pays à l’autre: en Australie, les taux longs sont plus élevés qu’aux États-Unis mais la dette publique y semble mieux contrôlée. Au Japon, la BOJ reste volontairement «behind the curve», ce qui crée des opportunités sur les emprunts long terme avec des primes de risque attractives.
Courbe des taux japonais (JGBs) à différents moments entre 2020 et 2025
Source: Facset
Sélectionner les Bons Points sur la Courbe de Taux
Faut-il vraiment se positionner sur toute la courbe comme un ETF le ferait? Nous ne le pensons pas, avec comme exemple la courbe des titres du Trésor américain inversée jusqu’il y a peu de temps (les taux courts rémunéraient plus que les taux longs) ou encore avec le cas des maturités longues ou mieux valait se concentrer sur le 20 ans plutôt que d’étaler son allocation sur du 10-30 ans.
Gestion Active du Risque de Crédit
Les gouvernements continuent d’augmenter massivement leur endettement, notamment aux Etats-Unis et bientôt en Allemagne alors que les taux sont nettement plus élevés que durant la décennie précédente quand une certaine austérité prévalait. Avec une inflation qui semble graviter au-dessus des objectifs des banques centrales, ces dernières auront donc de la peine à baisser leurs taux en l’absence d’une récession sévère.
Les entreprises, elles, se sont endettées dans de bien meilleures conditions (à taux bas et à échéances longues). Compte tenu de l’évolution des profils de risque, augmenter son exposition aux obligations corporate investment grade semble donc plus opportun qu’une surpondération en dette souveraine. Or la gestion passive et ses ETF continuent de sur-représenter la dette souveraine dont le poids dans les indices ne cesse d’augmenter, en comparaison de la dette corporate.
Gérer Intelligemment le Risque de Change
Les rendements étrangers sont souvent plus attractifs que les taux suisses, mais ils impliquent un risque de change. Gérer ce risque de manière active, c’est-à-dire à la fois pragmatique et optimale, en décidant de le couvrir entièrement ou pas, suivant les devises et leurs coûts de couverture respectifs, à quels niveaux et pour quelles proportions, ou sur quelles maturités, peut également être un élément important pour améliorer le couple risque-rendement.
Une solution complémentaire consiste à bénéficier de la convexité des obligations, notamment pour les titres souverains étrangers à long terme, afin de réduire l’exposition au change pour un risque de duration équivalent.
En conclusion, le marché obligataire post-2022 est à nouveau riche en opportunités, mais exige une approche plus sophistiquée. Il ne suffit plus d’être passif: chaque décision d’investissement doit être optimisée: géographie, duration, crédit, change.