Pour Alexander Roose, Head of Equities chez DECALIA, les marchés actions ont toujours une longueur d’avance sur une récession. Une bonne raison d’être optimiste.
Un bon investisseur en actions est celui qui sait avant tout capitaliser sur les difficultés. Celles de la crise actuelle, comme celles de crises précédentes, ne font pas exception à cette règle d’or: les mauvaises nouvelles d’aujourd’hui sont de bonnes nouvelles pour demain. Parole d’un gérant thématique fort d’une longue d’expérience en la matière. Entretien avec Alexander Roose, Head of Equities chez DECALIA.
Quel est votre sentiment d’investisseur face à la décrue continue des marchés depuis le début de l’année ?
Il y a eu à mes yeux deux phases dans cette décrue qui a touché aussi bien les actions que les obligations. La première, qui a commencé dès mi-novembre 2021 et a pris fin début mai dernier, a été dominée par les craintes d’une hausse des taux liée à une inflation galopante due à des facteurs inattendus et imprévisibles – l’Ukraine et l’inepte politique chinoise de zéro Covid. Cette inflation résulte d’abord des mesures prises par les banques centrales et gouvernements (chèques pour les ménages entre autres) à partir de mars 2020. La crise énergétique, essentiellement européenne – le prix du gaz est sept fois plus élevé en Europe qu’aux États-Unis – n’a fait que l’amplifier. La valorisation des entreprises à duration plus longue, donc de croissance, ont été les premières touchées. La volte-face des banques centrales a mis fin à cet épisode, la hausse des taux reflétant la volonté des banques centrales de casser quoi qu’il en coûte le potentiel d’inflation avant qu’il ne soit intégré dans le mécanisme de fixation des salaires. Les marchés ayant horreur des incertitudes et anticipant une forte déclaration de la croissance, ont réagi violemment dans une deuxième phase. Cette approche monétaire restrictive des banques centrales aboutira à une récession en Europe d’abord, dès la fin de l’été, et vraisemblablement aux États-Unis en fin d’année, au vu des «leading macro indicators» qui ont été publié récemment. Cette perspective, qui semble être une mauvaise nouvelle est en fait une bonne nouvelle pour les marchés actions ; elle explique que je sois beaucoup moins pessimiste aujourd’hui qu’il y a seulement quelques semaines.
Pourquoi ?
D’une part, parce que, et les précédentes crises l’ont toujours démontré, celle de 2008 comme celle de 2011 en Europe pour ne citer qu’elles, les marchés prennent entre six et mois d’avance sur une récession. Il existe un décalage temporel entre les tendances macro-économiques et la performance des actions. Les marchés actions appliquent une décote bien avant que la récession ne soit effective. Et ils repartent à la hausse également bien avant que la récession ne soit finie. Donc, plus vite viendra la récession plus vite les marchés actions reprendront des couleurs.
Les résultats seront médiocres, c’est certain, mais ce n’est pas une raison pour devenir plus négatif.
D’autre part, parce que d’expérience, rien ne sert d’être négatif au moment où tout paraît noir. C’est au contraire dans ces moments difficiles qu’il faut regarder les opportunités qui ne manqueront pas venir. L’exemple des marchés chinois est à cet égard parlant : en mars, l’appétit pour les actions chinoises était nul. En mai, l’indice Hang Seng de la bourse de Hong Kong était le seul au monde dans le vert.
Affichez-vous le même optimiste face aux résultats semestriels d’entreprises qui vont tomber ?
Les résultats seront médiocres, c’est certain, mais ce n’est pas une raison pour devenir plus négatif. Les premiers profit warnings n’ont pas aggravé la chute des cours. Les résultats seront sensiblement meilleurs aux États-Unis qu’en Europe à cause de l’impact du prix des énergies, une sous-performance qui n’est pas près de cesser compte tenu de la probabilité que la Russie cesse ses exportations de pétrole. Mais, là encore, le décalage évoqué précédemment s’appliquera, le redémarrage des marchés actions interviendra avant que les profits des entreprises ne repartent à la hausse.
Est-ce un avantage d’être un investisseur thématique dans le contexte actuel ?
L’approche thématique est une approche de long terme. Elle consiste à identifier les thèmes porteurs sur plusieurs décennies. Nous estimons qu’il y a de nombreux sous-thèmes porteurs et des recoupements entre thèmes : l’écologie, l’économie circulaire, le vieillissement de la population, les millenials, la digitalisation, la nourriture saine, la cybersécurité…. L’investissement thématique n’est pas en soit une protection contre des crises telles que celle que nous traversons, c’est le fait de sélectionner des entreprises à travers les chaines de valeurs de sous-thèmes respectives, avec un focus sur la génération de free cash flow qui qui fait la différence.
Quels sont les thèmes que vous estimez porteurs aujourd’hui ?
En tout premier lieu, l’écologie, à laquelle que la crise énergétique donne un coup d’accélérateur phénoménal. Le REPowerEU plan émis par la Commission européenne le 18 mai dernier est très favorable aux entreprises actives dans le secteur des énergies renouvelables – hydrogène, éoliennes, solaire. L’hydrogène est des sous-thèmes porteurs, reste à identifier le bon grain de l’ivraie, c’est-à-dire les entreprises d’exception dans un domaine qui présente peu de barrière à l’entrée. Un sous-thème de la nourriture saine dans lequel nous investissons depuis longtemps est celui de la fermentation. Alors que beaucoup d’investisseurs de l’agro-alimentaire se concentrent sur des Danone ou Nestlé, nous sommes convaincus que l’avenir appartient aux sous-traitants de ces groupes qui contribuent à faire que les produits de ces mastodontes fassent converger santé et nutrition. Une des manières les plus efficaces de le faire est la fermentation, qui permet de remplacer les antibiotiques par des probiotiques dans l’élevage, le plastique par du bioplastique. Elle leur permet également de réduire significativement leur empreinte carbone, car elle est réalisée localement.
Un troisième thème est la cyber-sécurité. Les tensions géopolitiques sont très propices à l’explosion d’une tendance émergente : aussi bien les gouvernements que les entreprises vont investir massivement pour se prémunir contre les cyber-attaques – logiciels, formation.
Comment avez-vous géré la baisse des marchés depuis le début de l’année ?
Nous avons bien sûr vendu certaines lignes, afin d’éviter le «value trap», Netflix en est le meilleur exemple, ou au contraire profiter de la débâcle des techs – 50% des entreprises du Nasdaq ont perdu plus de 50% de leur valeur, du jamais vu – pour renforcer certaines lignes, Palo Alto Networks, leader des logiciels de cyber-sécurité, par exemple. Nous avons profité de niveaux de valorisation inespérés. Cela étant dit, notre stratégie est restée la même, nous concentrer sur des thèmes d’avenir. Ce qui nous a amené à consolider des positions dans la «big pharma», un secteur défensif qui bénéficiera du mouvement de M&A et autres rachats de bio et medtechs que l’environnement de récession favorisera sans pour autant impacter les géants pharmaceutiques – Novo Nordisk et Eli lilly et leurs nouveaux médicaments contre l’obésité par exemple. Les médicaments ne connaissent pas la récession.
Alexander Roose, Responsable des fonds Actions et co-PM du DECALIA Sustainable SOCIETY.