- Les plus grands risques – et aussi opportunités – émanent toujours de ce que personne n’anticipe
- Les « surprises » tendent en effet à supplanter la justesse du scénario macroéconomique central
- Nos « prédictions » pour 2025 ne se concrétiseront pas toutes, mais donnent matière à réflexion
Tous mes vœux de santé et de prospérité pour 2025 ! En ce début d’année, j’ai sorti ma boule de cristal pour formuler dix prédictions susceptibles d’influencer les performances des portefeuilles à horizon 12 mois. Certaines relèvent de thématiques macro, quelques-unes sont provocatrices, nombre ne se concrétiseront pas, tandis que d’autres peuvent sembler insensées mais sont à garder en tête. De fait, les surprises tendent souvent à supplanter la justesse du scénario central. Car les plus grands risques – et opportunités – sont ceux que personne n’anticipe! Il suffit de se remémorer les dernières années : le Covid en 2020, la flambée inflationniste de 2021, l’invasion de l’Ukraine en 2022, l’effondrement du Credit Suisse et l’absence de récession en 2023, et les performances largement supérieures aux attentes des actions américaines, de l’or et du bitcoin l’an dernier. Ainsi, le plus surprenant en 2025 serait donc… de ne pas avoir de surprises.
1. Oubliez le crédit en 2025 ! Soit le scénario Boucles d’or restera en place et les actions mèneront encore le bal, soit la croissance s’essoufflera et les obligations souveraines de haute qualité surperformeront. Aussi, vu les spreads historiquement bas, les chances que le crédit s’en sorte mieux que les obligations souveraines dans un scénario de remontée des taux (dû à une surprise sur l’inflation ou des doutes sur la viabilité de la dette) sont minimes. Et si l’inflation est vraiment maîtrisée, les obligations souveraines retrouveront des vertus de diversification. Sans même préjuger de sa performance, le crédit est donc désormais assez inutile en matière d’allocation d’actifs.
2. Les «7 Magnifiques» ne seront plus le moteur les indices actions au cours d’une nouvelle année positive, la participation au marché s’élargissant. Ceci car les gains de productivité liés à l’IA s’étendront enfin à d’autres secteurs, ou simplement du fait d’un rattrapage, des valeurs secondaires américaines notamment. Il suffirait à cet égard que l’absence de données inflationnistes permettent à la Fed de poursuivre son assouplissement graduel et prudent.
3. Les bourses non-américaines surperformeront. Les politiques «trumpistes» pourraient être plus contre-productives que prévu pour les actions US, surtout si elles entraînent des taux plus élevés et un dollar plus faible. Un scénario possible en cas d’inquiétudes concernant la dette américaine, ou de perte de crédibilité de la Fed. Dans tel contexte, l’or prendrait probablement les devants. À noter que les politiques américaines pourraient aussi provoquer des réactions auto-bénéfiques au Canada, au Mexique, en Europe ou en Chine, les principaux partenaires commerciaux, amenant une surperformance de leurs propres bourses (en devise locale du moins).
4. Le frein à l’endettement allemand se verra profondément remanié. La nouvelle coalition issue des élections anticipées de février n’aura « pas d’autre choix » à un moment donné, sur fond de tarifs douaniers américains punitifs poussant l’Allemagne en récession, et de problèmes de viabilité de la dette française qui se répercuteront dans toute la zone euro, limitant l’efficacité de l’assouplissement monétaire de la BCE.
5. Le rendement de la dette française à 10 ans surpassera celui de l’Italie. À 3,2% aujourd’hui, il est déjà plus élevé qu’en Espagne ou au Portugal. Je vois trois facteurs présageant d’une nouvelle dégradation en 2025 : (1) la trajectoire de la dette (le budget primaire de la France n’a plus été équilibré depuis 1981), (2) le niveau d’imposition déjà élevé (le ratio impôts/PIB de la France avoisine 45%, contre une moyenne OCDE d’env. 35% et moins de 30% aux US) et (3) le fait que les investisseurs étrangers détiennent env. 50% de la dette publique française, bien plus qu’en Italie (25%) ou qu’aux États-Unis (30%). Il arrivera un moment où la crise déclenchera une réaction, comme l’abandon du frein à l’endettement allemand p.ex., conduisant à une politique budgétaire européenne plus intégrée, ou l’adoption d’une posture ultra accommodante de la BCE.
6. La courbe des taux japonais s’aplatira, la croissance mondiale ralentissant au fil de l’année, et la progression des salaires japonais finissant par décevoir, mais seulement après 2-3 relèvements des taux par la BoJ. Cette situation contrastera fortement avec la plupart des autres courbes souveraines, qui auront tendance à se pentifier.
7. L’économie britannique entrera en stagflation avec un ralentissement marqué de la croissance du PIB (quasi-nulle en 2025 vs. des prévisions du FMI et de l’OCDE de 1,1% et 1,5% respectivement), une inflation toujours supérieure à 3% (ou surpassant dans tous les cas celle des autres économies du G7) et de nouvelles inquiétudes quant à la soutenabilité de la dette, ce qui entraînera des pressions baissières sur le GBP. De ce fait, la BoE interrompra son assouplissement monétaire.
8. Le prix du baril s’effondrera sous la barre des $50 à mesure que la guerre en Ukraine trouvera une issue, que les tensions au Moyen-Orient s’apaiseront, que la croissance mondiale ralentira et que les politiques «trumpistes» doperont la production américaine de pétrole et de gaz de schiste. Si cette prédiction se réalise, elle consolidera probablement le scénario favorable de Boucles d’or et entraînera une forte performance des actions et des obligations, tout en freinant l’or.
9. Les politiques tarifaires de Trump déclencheront une véritable guerre commerciale, et donc d’importants mouvements sur les devises. Les marchés des changes ont été jusqu’ici guidés surtout par des considérations de portage et par les attentes en matière de trajectoire des taux d’intérêt. Supposons que la rhétorique de Trump ne soit pas uniquement une tactique de négociation, mais que les tarifs évoqués soient effectivement déployés. Le dollar pourrait s’apprécier fortement, du fait d’une Fed plus agressive ou parce que d’autres devises corrigent fortement à mesure que s’assombrissent leurs perspectives de croissance, d’autant qu’un dollar plus fort peut contribuer à maîtriser l’inflation aux Etats-Unis, tandis que des devises plus faibles permettront à leurs partenaires commerciaux de rester concurrentiels (en compensant pour partie les hausses tarifaires). Deux monnaies seront à surveiller de plus près : le HKD (l’ancrage peut-il survivre une année de plus, surtout si notre prédiction 10 se réalise ?) et le CHF (la BNS pourrait être forcée d’abandonner ou de réadapter son combat désespéré contre les « méchants » spéculateurs).
10. La Chine basculera dans un scénario de déflation à la japonaise. Les autorités chinoises gesticulent pour relancer la demande, mais les vents contraires structurels et le manque de confiance rendront leurs actions inutiles et inefficaces. En outre, les politiques chinoises sont contraintes par l’«exceptionnalisme américain», qui va de pair avec un dollar relativement fort en continuant d’attirer la plupart des flux d’investissement mondiaux. Toute reprise cyclique en Chine se heurtera donc vite à un plafond, l’économie revenant à une nouvelle trajectoire «normale» bien plus faible (clairement inférieure à 5%). Sans parler de l’impact d’un monde plus fragmenté et des tensions commerciales grandissantes.
Ecrit par Fabrizio Quirighetti, CIO & Responsable des stratégies multi-asset et obligataires
Un environnement Boucles d’or favorable continue de prévaloir
- Le rallye boursier a résisté aux défis géopolitiques… pas à une Fed moins accommodante
- Optimisme prudent sur fond de croissance, de risque d’inflation moindre et de baisse des taux
- Des épisodes de volatilité sont possibles, mais il n’y a pas (encore) de catalyseur pour un retournement
Alors que les bourses mondiales étaient restées imperturbables face à l’avènement d’une nouvelle administration aux Etats-Unis et aux turbulences géopolitiques mondiales (votes de défiance en France et en Allemagne, annulation des élections en Roumanie, effondrement du régime de Bachar el-Assad en Syrie et troubles politiques en Corée du Sud notamment), la posture quelque peu agressive de la Fed a fini par déclencher une pause dans le rallye en place depuis deux ans. Cet optimisme apparemment cynique des investisseurs s’explique par plusieurs facteurs : une saisonnalité favorable, des flux substantiels vers les actions, un sentiment pro-entreprises porteur aux États-Unis après la victoire de Trump et, surtout, une croissance résiliente des bénéfices soutenue par des données américaines toujours positives. Dans ce contexte, le message de la Fed a servi de rappel bienvenu et relativement indolore pour les investisseurs : on ne peut pas avoir le beurre et l’argent du beurre ! Soit la croissance américaine continuera de surprendre et la Fed pourrait ralentir le rythme de baisse des taux, même décider d’un relèvement si l’inflation rebondit, soit l’activité économique ralentira suffisamment pour entraîner une forte détérioration du marché de l’emploi, ce qui déclenchera alors un assouplissement monétaire plus rapide et plus marqué.
Avant cela, les indices mondiaux, emmenés par les méga-capitalisations technologiques américaines, avaient poursuivi leur marche vers de nouveaux records. Des divergences significatives ont toutefois refait jour, les « 7 Magnifiques » et Broadcom (sous l’acronyme BAATMAAN) masquant la sous-performance de la plupart de la cote américaine depuis début décembre. Alors que certains segments du marché américain semblent pleinement valorisés, d’autres souffrent d’un pessimisme injustifié, offrant des opportunités sélectives. Les multiples élevés des indices masquent une réalité plus complexe, des régions telles que l’Europe et les marchés émergents, ou encore les valeurs secondaires, présentant des valorisations attractives. Malgré les multiples tendus, la résilience des bénéfices et la baisse de la prime de risque des actions ont soutenu le rallye durant l’année écoulée, même au gré des fluctuations des rendements obligataires.
Notre scénario économique de base reste à ce stade globalement favorable aux actifs risqués : croissance plus lente mais positive, stabilisation de l’inflation à des niveaux acceptables pour les banques centrales et, donc, normalisation progressive des taux d’intérêt en fonction des données. Les risques d’une inflation persistante, d’un ralentissement brutal ou d’une hausse du chômage ne peuvent être exclus, comme l’a également souligné Jay Powell à l’issue de la dernière réunion de la Fed, compte tenu notamment des incertitudes liées à l’impact de l’administration Trump sur les trajectoires de croissance et d’inflation.
Ainsi, nous maintenons un positionnement neutre sur les actions, reflétant un optimisme prudent alimenté par une activité économique résiliente, des risques d’inflation qui baissent, un assouplissement de la politique monétaire et une saine croissance des bénéfices. Les ajustements apportés récemment à nos allocations en actions et en obligations reflètent déjà les impacts potentiels des politiques américaines. Pour rappel, nous continuons à privilégier les valeurs américaines, en équilibrant l’exposition aux valeurs secondaires avec les grandes capitalisations moins sensibles à la croissance, qui bénéficient de la déréglementation et d’un regain de confiance. Notre perspective sur les actions de la zone euro est plus prudente (sous-pondération), du fait des incertitudes commerciales et de l’instabilité politique. Il en va de même pour les actions émergentes, même si la Chine présente probablement moins de risques que d’autres régions. S’agissant des obligations, nous restons neutres en termes de duration, mais devenons plus constructifs en raison de l’amélioration des valorisations et des avantages de la diversification. Nous préférons les obligations de qualité en EUR à celles en USD du point de vue de la valorisation, mais le haut rendement en USD à celui en EUR en raison des trajectoires de croissance divergentes. L’or reste un élément de diversification essentiel, tout comme l’USD et le CHF en tant que valeurs refuges sur le marché des changes.
En ce début d’année 2025, nous restons donc fondamentalement constructifs à l’égard des marchés actions. Bien qu’une pause soit inévitable après deux années exceptionnelles, nous ne voyons pas de catalyseurs convaincants pour un retournement. Des épisodes de volatilité pourraient se produire en raison de l’incertitude sur les taux d’intérêt, des développements géopolitiques, des tendances inflationnistes, de craintes temporaires sur la croissance ou de rotations de marché, mais nous tablons sur des performances globalement positives. Nous mettons l’accent sur une approche diversifiée et de haute qualité, équilibrant les actions, le portage dans le crédit et les obligations de haute qualité, tout en gardant des allocations significatives à des actifs diversificateurs tels que l’or, les obligations longues de haute qualité ou le dollar américain.
Ecrit par Fabrizio Quirighetti, CIO & Responsable des stratégies multi-asset et obligataires
Sources externes incluant : LSEG Datastream, Bloomberg, FactSet, J.P. Morgan Asset Management, Statista.