Naviguer dans la nouvelle ère du crédit privé

  • Sur les marchés privés, le crédit pointe actuellement en tête du tableau des performances…
  • … profitant des taux plus élevés et d’une moindre activité de prêts bancaires/obligataires
  • Le cycle évolue, mais les fonds agiles ciblant des marchés disloqués devraient encore prospérer

Début 2023, Jon Gray, COO de Blackstone, déclarait que le crédit privé vivait un « moment doré ». D’autres ont ensuite commencé à parler d’« âge d’or » et, en fin d’année, les dirigeants de Blackstone entonnaient comme refrain de Noël : « It’s the Alternatives Era » (« L’ère est aux investissements alternatifs »). La thèse est simple : la remontée des taux d’intérêt et une concurrence réduite des prêteurs traditionnels ont dopé les rendements du crédit privé, le plaçant en tête du tableau de performances des actifs privés sur cette décennie, avec un TRI de 15,8%.

La phase de maturation d’un âge d’or peut être passionnante. Les meilleures années pour le crédit émergent souvent d’un environnement de taux élevés et se terminent lorsqu’ils baissent. Les banques centrales ont certes commencé à assouplir leur politique, mais le recul des taux sera progressif et les conditions des contrats de crédit privé peuvent prendre des mois à s’ajuster. Il est donc encore temps de tirer parti du contexte monétaire, même si la sélectivité deviendra de plus en plus cruciale. En particulier, nous notons une divergence croissante entre les « dinosaures » à grande capitalisation, contraints de se cantonner à des segments standardisés pour continuer à croître, et les entreprises plus petites et spécialisées (les « oiseaux »), mieux adaptées pour prospérer dans des conditions changeantes. En d’autres termes, les géants peuvent-ils continuer à battre le marché maintenant qu’ils deviennent le marché ? Selon Pitchbook, au premier semestre 2024, 88% des levées de fonds dans le crédit privé sont allées à des fonds dont les actifs dépassent USD 1 milliard.

Les principales caractéristiques de ceux qui baignent toujours dans l’âge d’or sont une « rapidité » à déployer des actifs, une « vivacité » pour cibler les poches de dislocation et une « capacité à voler » en structurant une exposition à la hausse qui tire parti de l’assouplissement monétaire.

Sur les marchés privés, un déploiement plus rapide se traduit généralement par des structures de fonds plus efficaces, avec moins d’engagements non utilisés. Bien sûr, vu l’opportunité limitée dans le temps de bénéficier de taux élevés, la rapidité est d’autant plus pertinente aujourd’hui. Pour s’assurer de ne pas rater le coche, une autre astuce consiste à investir dans des fonds déjà bien déployés, emplis de transactions conclues dans des conditions idéales.

Le crédit privé a prospéré dans un contexte de réduction de l’activité bancaire et des marchés obligataires. A mesure que le cycle évolue, notre préférence va aux segments qui n’ont jamais été bien desservis et où des dislocations sont apparues – tels que les prêts adossés à des actifs, le crédit secondaire et les prêts au secteur technologique (l’effondrement de la Silicon Valley Bank en 2023 ayant laissé un vide sur le marché).

Le crédit privé est souvent considéré comme une stratégie à rendement plafonné. Avec une structuration adaptée, il est toutefois possible d’obtenir une exposition à la hausse supérieure aux minimums contractuels, et même de profiter de la baisse des taux. L’une des options consiste à passer de coupons flottants à des coupons fixes, en particulier dans les petites transactions où les emprunteurs tendent à se concentrer sur leurs premiers paiements trimestriels. Les pénalités pour remboursement anticipé peuvent également contribuer à augmenter le TRI, les emprunteurs étant plus enclins à se refinancer de manière anticipée dans un contexte de baisse des taux et des spreads. Enfin, les bons de souscription d’actions peuvent constituer un complément intéressant aux intérêts contractuels. Si les prêts sont refinancés de manière anticipée, ceux-ci seront cristallisés plus rapidement. Et les chances de voir leur valeur augmenter sont plus grandes lorsque les taux se baissent, en particulier dans les segments sensibles aux taux tels que les opérations adossées à des actifs.

A quoi s’attendre après un âge d’or ? L’expression trouve son origine dans la mythologie grecque, où l’on parle ensuite d’un âge d’argent, puis de bronze. Mais les connaisseurs d’Hésiode et Ovide se souviendront que toutes ces étapes mènent à l’« âge héroïque », où se déroulent les légendes les plus célèbres. Peut-être est-ce là la meilleure analogie. Le quotidien ne sera pas uniformément facile pour tout le monde, mais le meilleur reste à venir. Il s’agira simplement de choisir avec soin les stratégies de vos héros.

Ecrit par Reji Vettasseri, Lead Portfolio Manager Private Markets Funds and Mandates

« Keep calm & carry on »

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Depuis la forte baisse des taux directeurs de la Fed à la mi-septembre, les investisseurs ont bénéficié d’un contexte macroéconomique parfait, avec des indicateurs économiques américains rassurants, des données apaisantes sur le plan de l’inflation (en particulier en Europe) et, cerise sur le gâteau, des chiffres de l’emploi étonnamment solides aux Etats-Unis, lesquels ont définitivement apaisé les craintes d’une récession imminente. Ajoutez à cela un cycle d’assouplissement monétaire mondial désormais bien engagé, des mesures de relance en Chine et des risques géopolitiques relégués au second plan, et vous entendrez ce à quoi ressemble vraiment la musique de Boucles d’or. 

Cette toile de fond favorable à un atterrissage en douceur, conjuguée à la résilience des bénéfices des entreprises (le consensus anticipe une croissance des BPA de 13% en 2025) et au nouvel afflux récent de capitaux d’investisseurs institutionnels & privés, les marchés boursiers mondiaux ont poursuivi leur rallye vers de nouveaux sommets historiques. Il est vrai que le positionnement des investisseurs est dès lors devenu un peu plus positif, bien que cette évolution soit en grande partie motivée par du FOMO (« fear of missing out ») lié à la Chine. Les principaux marchés sont chers à en juger par la plupart des normes de valorisation, mais ceci n’est pas nouveau (comme sur le marché du crédit) et n’a pas empêché les gains de cette année. De fait, les multiples actuellement élevés des indices boursiers masquent une réalité bien plus complexe, avec des segments tels que la zone euro et les petites capitalisations qui offrent toujours des poches de valeur – en dehors des titanesques « 7 magnifiques ».

Comment la situation pourrait-elle déraper ? Les facteurs potentiellement dommageables sont nombreux, d’autant que nous entrons dans le mois de novembre par la porte dérobée d’Halloween, les investisseurs ayant déjà reçu cette année un lot de friandises largement supérieur aux attentes. Dans le même temps, la liste des risques s’est allongée et comprend désormais les crises géopolitiques, les turbulences liées à l’élection présidentielle américaine, la détérioration macroéconomique et d’autres éléments que nous pouvons imaginer – ou pas (les inconnues inconnues). En particulier, les élections américaines toutes prochaines engendreront des bruits de fond, compliquant la mise en œuvre des plans d’assouplissement à court terme de la Fed

Alors que les investisseurs tentent – en vain – de deviner l’issue de ces élections, nous estimons qu’il est temps… de ne rien faire. Si ce n’est, peut-être, d’ajouter quelques couvertures pour atténuer la volatilité associée à ces risques latents. En effet, même si les marchés sont appelés à être volatils et difficiles à lire, nous estimons que les chances de bien deviner le résultat des urnes et, plus important encore, de prendre la « bonne » décision d’investissement avec un « timing » parfait, sont très faibles. Pour autant, les fondamentaux macro et microéconomiques demeurent sains et devraient continuer à soutenir les actifs risqués au-delà de l’événement. Nous restons donc prudemment optimistes quant à la trajectoire et continuons à privilégier une approche tout-terrain de la construction de portefeuille, avec une allocation d’actifs et de secteurs diversifiée et bien équilibrée, axée sur les actions de haute qualité, le portage dans le crédit et une duration convexe en obligations de haute qualité, tout en conservant une exposition significative à l’or, combinée à l’USD et au CHF, en tant que diversificateurs du risque.

S’agissant des marchés actions, nous sommes toujours constructifs mais ne pouvons exclure de nouveaux accès de volatilité (niveau final des taux directeurs, type d’atterrissage, géopolitique, trajectoire de l’inflation ou rotations de marché, entre autres), entraînant une certaine consolidation des cours et suggérant des performances de court terme un peu plus modérées. Nous maintenons notre préférence (structurelle) pour les actions américaines, en équilibrant soigneusement notre allocation aux petites/moyennes capitalisations (gérée activement) avec des méga-capitalisations un peu moins en croissance, qui devraient bénéficier de la baisse des taux et des pressions sur les coûts. Ailleurs, nous avons déjà abaissé l’été dernier notre position sur la zone euro (la ramenant à une légère sous-pondération), car la croissance économique s’essouffle à nouveau sur fond de difficultés allemandes, et nous continuons à préférer d’autres marchés européens, notamment le Royaume-Uni et la Suisse. 

Du côté obligataire, nous conservons une position prudemment neutre, avec une préférence pour le crédit de court terme et la partie centrale de la courbe par rapport à la dette souveraine de long terme, par le biais d’une stratégie de portage « buy & hold », tout en conservant une approche sélective dans le segment du haut rendement et des marchés émergents. Enfin, nous continuons à privilégier la diversification par l’or (plutôt que par la duration obligataire), qui devrait bénéficier non seulement du cycle d’assouplissement anticipé de la Fed, mais aussi de son statut de valeur refuge supérieur à celui des obligations souveraines en cas de turbulences post-électorales aux États-Unis, d’inquiétudes supplémentaires quant à un dérapage budgétaire ou de scénario de non-atterrissage.

Ecrit par Fabrizio Quirighetti, CIO & Responsable des stratégies multi-asset et obligataires

External sources include: LSEG Datastream, Bloomberg, FactSet.