- L’Espagne et l’Allemagne ont connu des destinées bien différentes au cours des dernières années
- Atouts espagnols : diversification énergétique/économique, tourisme, politiques publiques…
- Vulnérabilités allemandes : dépendance au gaz russe/à l’industrie, démographie vieillissante…
Depuis le début de la guerre entre la Russie et l’Ukraine, l’économie espagnole a fait preuve d’une résilience remarquable, surpassant son homologue allemande – pourtant souvent considérée comme le moteur de l’Europe. Une dynamique qui n’est pas sans rappeler la récente victoire de l’équipe espagnole à l’Euro 2024, après avoir précisément éliminé l’Allemagne, pays hôte, en quart de finale.
Le degré de dépendance énergétique est pour beaucoup dans ces dynamiques différentes. L’Allemagne, fortement tributaire du gaz russe, a subi de plein fouet les sanctions et les perturbations d’approvisionnement énergétique. Des coûts de production accrus et une inflation élevée, frôlant les 6% en 2023, en ont résulté. De son côté, l’Espagne, moins dépendante du gaz russe et jouissant d’une meilleure diversification de ses sources d’énergie, notamment renouvelables, a mieux résisté aux chocs énergétiques. L’inflation y est ainsi restée plus modérée, à 3,5%. Diversifier son jeu et s’adapter aux différentes stratégies de ses adversaires : c’est aussi ce qui a permis à la Roja de remporter des victoires cruciales lors de l’Euro 2024.
Le secteur touristique, crucial pour l’économie espagnole, a fortement rebondi après la pandémie. Des millions de visiteurs ont afflué dans le pays en 2023, dopant non seulement la croissance du PIB, mais créant également des emplois et apportant un soutien aux petites entreprises locales. L’Allemagne, bien qu’également une destination de tourisme, ne peut clairement pas rivaliser avec l’Espagne sur ce plan. Pour faire à nouveau un parallèle footballistique, le fait que l’équipe espagnole ait su tirer parti de ses atouts, en l’occurrence une attaque talentueuse et une défense solide, a grandement contribué à son titre de champion d’Europe 2024.
Soulignons aussi que là où l’Allemagne fait face à des défis structurels majeurs, notamment une population vieillissante et une dépendance à l’industrie manufacturière, l’Espagne a su mener des réformes structurelles pour améliorer la compétitivité et la flexibilité de sa main d’œuvre. Encouragement de l’innovation, soutien aux start-ups, renforcement de l’éducation et de la formation professionnelle : autant de mesures permettant de mieux s’adapter aux nouvelles réalités économiques post-COVID. Tout comme l’équipe de football espagnole a su se réinventer et intégrer de jeunes talents (on pense bien sûr à Lamine Yamal et Nico Williams).
Outre le tourisme, l’Espagne a largement investi ces dernières années dans des secteurs tels que les technologies de l’information, les énergies renouvelables et les services financiers. Une diversification qui l’a aidée à mieux résister aux chocs externes. L’Allemagne reste en revanche, comme déjà dit, fortement dépendante de son secteur manufacturier, durement impacté par les perturbations de la chaîne d’approvisionnement et les fluctuations de la demande mondiale. De la même manière, la Mannschaft, malgré son talent et son histoire prestigieuse, a montré des signes de vulnérabilité face à des adversaires plus diversifiés.
Enfin, les politiques budgétaires et monétaires de l’Espagne ont également joué un rôle crucial dans sa résilience économique. Les autorités ont mis en place des mesures de soutien pour les entreprises et les ménages, incluant des subventions, des réductions d’impôts et des programmes de soutien à l’emploi – avec pour effet de stabiliser l’économie et soutenir la demande intérieure. En Allemagne, des mesures similaires ont été déployées mais leur efficacité s’est avérée moindre, en raison des facteurs énergétiques et structurels susmentionnés. A l’instar des blessures et erreurs tactiques qui ont empêché les décisions stratégiques de l’entraîneur allemand de bien fonctionner durant l’Euro 2024. Pour résumer, l’économie industrielle allemande, autrefois un modèle de réussite, montre ses limites face aux défis du monde actuel. L’Espagne, avec son modèle d’économie de services diversifiée et résiliente, offre pour sa part un exemple d’adaptation réussie aux nouvelles réalités économiques post-COVID. Gageons que les décideurs politiques allemands, tout comme les membres de la Mannschaft, devront peut-être revoir leurs stratégies et intégrer de nouveaux talents pour revenir au premier plan. Alors que l’équipe espagnole continuera, elle, de briller sur la scène internationale.
François Botta, Senior Portfolio Manager
Faire ce qu’il faut !
- Un assouplissement démarré en fanfare, mais attention à la route qui attend la Fed
- Le spectacle (de croissance) continue, pilier essentiel pour les marchés boursiers
- L’or devrait s’avérer une meilleure valeur refuge que les obligations d’État
Comme prévu (espéré) par les marchés, la Fed a entamé son cycle d’assouplissement par une baisse des taux de 50 pb. Une décision motivée par une récente détérioration du marché du travail, l’inflation ayant également reflué plus rapidement que prévu par les membres de la Fed en juin dernier. Pourtant, la Fed juge désormais les risques pour ses objectifs d’emploi et d’inflation comme étant à peu près équilibrés, tout en continuant à anticiper une économie résiliente (projections de croissance du PIB inchangées). Son choix d’un recalibrage préventif de la politique monétaire, plutôt que d’un traitement ultérieur en cas de récession, a vraisemblablement renforcé la probabilité de notre scénario d’atterrissage en douceur.
À cet égard, deux points inhabituels par rapport aux cycles d’assouplissement précédents sont à souligner. Tout d’abord, ce recalibrage est cohérent avec le déplacement de la préoccupation principale de la Fed de l’inflation vers le marché du travail : la Fed peut lâcher un peu sur l’un de ces objectifs et se concentrer un peu plus sur l’autre. Cela signifie que, contrairement aux précédents cycles d’assouplissement, la remontée du chômage n’est pas synonyme de récession. Elle pourrait éventuellement le devenir, mais pas à ce stade (précoce). Le deuxième point, et corollaire du premier, est que la Fed abaisse ses taux à partir d’une situation économiquement forte, et non de faiblesse, avec encore une certaine persistance de l’inflation dans les services. Le passé ne peut donc plus servir de guide aux investisseurs. Non seulement le manuel de positionnement classique en période de baisse des taux (réduction des actions, achat de titres défensifs, renforcement des positions obligataires, en particulier de la duration des obligations souveraines, et ajustement baissier du crédit, pour ne citer que les principes de base) pourrait ne pas fonctionner cette fois-ci, mais la trajectoire d’assouplissement de la Fed pourrait s’avérer plus complexe – et donc plus cahoteuse – qu’à l’accoutumée.
Les craintes de récession s’estompant, les indicateurs de positionnement et de sentiment se stabilisant à un niveau plus neutre et les conditions normales de liquidité étant rétablies après la pause estivale, les marchés boursiers mondiaux ont repris leur progression, atteignant de nouveaux pics annuels sur fond de solides projections de croissance bénéficiaire pour 2024 et 2025. Les valorisations ne sont toujours pas bon marché, mais ce n’est pas nouveau – et les multiples actuellement élevés des indices boursiers cachent une réalité beaucoup plus complexe, avec des segments tels que l’Europe et les petites capitalisations qui présentent toujours une valorisation attrayante par-delà les « magnifiques » titans américains. En outre, les fondamentaux macro et microéconomiques favorables, conjugués à des taux plus bas, devraient justifier une réévaluation de ces segments.
Nous restons donc constructifs à l’égard des actions, tout en anticipant toujours des accès de volatilité sur les marchés (qu’ils soient dus à la nature de l’atterrissage économique, à la géopolitique, à la voie que prendra l’assouplissement monétaire, à la trajectoire de l’inflation ou aux rotations du marché, entre autres). Cette volatilité devrait entraîner une certaine consolidation des prix, ce qui pourrait se traduire par des rendements plus modérés à court terme. Au niveau des portefeuilles, cela signifie que nous conservons notre préférence (structurelle) pour les actions américaines, avec une pincée de petites et moyennes capitalisations (gérées activement) et une allocation diversifiée à l’indice S&P 500 équipondéré, qui devrait bénéficier le plus de la baisse des taux et des pressions sur les coûts. Ailleurs, nous avons déjà abaissé le mois dernier notre exposition aux actions de la zone euro (à une légère sous-pondération), dans un contexte où la croissance s’essouffle à nouveau et où l’Allemagne reste à la peine. Nous continuons à préférer d’autres marchés européens, tels que le Royaume-Uni et la Suisse.
Enfin, nous conservons un positionnement prudemment neutre sur les obligations, avec une préférence pour le crédit de court terme et la partie centrale de la courbe par rapport à la dette souveraine de long terme, conjuguée à une diversification dans l’or (désormais surpondéré). Ce dernier bénéficie non seulement du cycle d’assouplissement anticipé de la Fed, mais pourrait également s’avérer une meilleure valeur refuge que les obligations souveraines en cas de troubles politiques aux États-Unis, d’inquiétudes supplémentaires concernant le dérapage budgétaire ou d’un scénario sans atterrissage (erreur de politique de la Fed en abaissant les taux trop vite/trop fortement).
En résumé, nous restons prudemment optimistes et continuons à privilégier une approche tout-terrain de la construction de portefeuille, avec une allocation d’actifs et de secteurs diversifiée et bien équilibrée, axée sur les actions de haute qualité ; une préférence pour le portage dans le crédit et une duration convexe en obligations de haute qualité ; et une exposition tangible à l’or, conjuguée à l’USD et au CHF, en tant que diversificateurs du risque.
Ecrit par Fabrizio Quirighetti, CIO & Responsable des stratégies multi-asset et obligataires
External sources include: LSEG Datastream, Bloomberg, FactSet.